Parce qu'il le faut... [libre]

Invité

6 heures du matin. La jeune femme se trouvait déjà à la laverie, avec pratiquement tous ses vêtements... enfin, ceux qui lui faisaient encore. Elle avait décidé d'y aller de bonne heure parce qu'elle savait qu'il n'y aurait personne si tôt et même si n'avait plus envie de sortir de sa chambre, il fallait bien qu'elle ait quelque chose de propre à se mettre sur le dos. Depuis quelques semaines, sa vie était un réel enfer. Elle souffrait encore de son viol... encore plus psychologiquement que physiquement. Elle avait encore été malade toute la nuit et commençait à s'inquiéter. Blanche comme un drap, elle mettait distraitement ses vêtements foncés dans la machine à laver... pas question de mettre quelque chose de pâle. Ainsi, on remarquerait tout de suite sa prise de poids. Elle n'avait pas envie... qu'on sache ce qui était arrivé. Déjà qu'on la prenait pour une petite fille sans défense, Lucine n'avait pas besoin qu'on s'inquiète pour elle. Une fois tous les vêtements qui lui restaient bien mis dans la machine, l'étudiante referma la petite porte et régla le type de lavage. Elle s'en fichait mais devait bien le faire quand même. Après tout, il faudrait qu'elle continue comme avant si elle voulait passer par dessus.

*Mais comment ? Comment oublier ça...*

Avec ce petit être dans son ventre, c'était impossible. Elle savait que si elle en parlait, on lui dirait d'avorter. Elle n'en avait pas envie, pas du tout. Le souvenir de sa fausse-couche était encore trop douloureuse dans sa tête pour imaginer qu'on lui enlève une autre fois son bébé. Ce qui la rendait folle, c'était de ne plus se souvenir du visage de l'homme qui l'avait mise enceinte. Et si jamais son enfant naissait et puis mourrait ensuite ? Est-ce qu'elle pourrait le supporter une seconde fois ? Elle se sentirait tellement coupable... mais si elle en parlait à son frère, qu'est-ce qu'il dirait ? Lucas était trop protecteur envers elle. Il cesserait d'enquêter sur les phénomènes du campus et tenterait de retrouver ce type. Lucine n'avait pas envie, une fois de plus, qu'il soit obligé de tout laisser tomber pour elle. Il avait sa copine, il avait sa vie... elle avait la sienne. Après tout, si la vie avait choisi de lui envoyer ces épreuves, c'était parce qu'elle devait les surmonter. Mais elle n'y arrivait pas. Pas encore, pas maintenant. Tandis que la machine se mettait en marche, Lucine prit sa tête dans ses mains et se laissa glisser sur le sol. Adossée contre le sèche-linge, elle remonta ses genoux contre sa poitrine et les entoura de ses bras. Curieusement, elle se mit à pleurer. C'était la première fois depuis cette nuit-là. Elle n'arrivait plus à s'arrêter maintenant que les larmes coulaient. Elle sentait toujours ses mains sur elle, qui l'aggripaient... c'était insupportable. Dès qu'elle fermait les yeux, elle revoyait cette scène. Elle n'arrivait même plus à dormir, ses cauchemars revenant sans cesse.

*Je deviens dingue!*

Tic toc tic toc.. tic.. toc… tic…
Encore le même rêve, le même couloir glacé, le même son qui lui pénétrait violemment l’esprit sans qu’on le lui ait demandé toujours et encore plus fort. Lucas avait envie de crier, courir, tout pour échapper à nouveau aux mêmes images énigmatiques qui le torturaient maintenant à longueur de journée. Chaque nuit n’arrivait qu’à l’emporter un peu plus loin dans le gouffre du mésage chaotique qu’on tentait de lui passer sans grand succès, et presque chaque heure éveillée était ponctuée de flash le lui rappellant pour l’empêcher de bien vouloir penser à autre chose le temps que quelques minutes. Il ne voulait plus longer les murs à la recherche d’une cause surement déjà perdue, il en avait assez de ce bruit infernal qui ne s’en allait jamais mais pourtant il s’élançait encore une fois dans la course folle lui faisant traverser tout et n’importe quoi dans une poursuite déséspérée pour rattrapper sa sœur. Et encore une fois, comme toujours, on lui offrait soudainement une vue un peu plus loin dans le néant, comme un roman que l’on enrichirait d’une page à chaque jour de manière à garder le lecteur en haleine sans lui permettre une arrivée trop rapide à la fin. Cette fois il se trouvait en un éclair lumineux au beau milieu du campus, une brise glaciale se glissant entre les tissus de ses vêtements, venant lui frigorifier les os. Il faisait nuit, enfin c’est ce qu’on pouvait conclure de l’absence de soleil à l’horizon, et on ne lui avait laissé que le bruissement des feuilles comme compagnon, qui se rejoingnait au cri plutôt lointain de l’horloge. Haussant un sourcil, Lucas fit rapidement le tour de la cour du regard, avant d’être interromput par un rire familier en provenance des deux grandes portes d’entrée. Se retrounant brusquement, il courut à sa rencontre, et pénétra dans le batiment faiblement éclairé quelques secondes plus tard. Elle était la, juste au bout du couloir, la tête baissée comme un enfant attendant tristement d’être grondé. Avançant lentement dans sa direction, ne voulant pas provoquer à nouveau sa disparition en allant trop vite, il fut bientôt à seulement quelques mètres, surprit de ne pas devoir encore aller sans fin aux côtés de murs éternels. « Lucine? » Murmura-t-il en un souffre à peine audible, faisant quelques pas vers sa sœur qui était maintenant à portée de bras. Reprenant son rire d’enfant, la jeune femme leva lentement la tête mais au lieu de plonger son regard sans ses innocents yeux bleus, il rencontra plutôt deux orbes vides, morts, qui pointaient sur lui leur noirceur lugubre.

« NOOOOOON! »

Tic toc tic toc…

Lucas se réveilla en sueur dans son lit, parvenant à peine à maîtriser sa respiration sacadée. Secouant la tête pour reprendre ses esprits, il posa les pieds sur le tapis rugeux de sa chambre et se rendit à la salle de bain, ou il aspergea sa figure d’eau froide. Aggripant l’évier de ses deux mains, il fixa le reflet hagard que lui renvoyait le miroir quelques secondes puis repartit dans le couloir. Il avait besoin de prendre l’air, l’appartement le faisait étouffer. Attrappant la pile de vêtements qu’il avait besoin de laver, il les rangea dans un sac puis passa la porte d’entrée après avoir enfilé une veste par-dessus sa camisole. Tant qu’à ne plus pouvoir dormir, vallait mieux être productif, non? Il était aux allentours de 6h et quart, à l’extérieur le soleil laissait à peine quelques-uns de ses rayons traverser le ciel pour tenter d’éclairer un peu. Arrivant quelques instants plus tard dans la laverie, il fut accueillit par le son d’une machine déjà en marche, voilà il n’était pas le seul à ne pas pouvoir dormir, mais celui ou celle qui utilisait aussi l’endroit n’était pas encore dans son champ de vision. Haussant les épaules, le jeune homme allait commencer à sortir son linge quand un hoquettement parvint à son oreille, l’arrêtant automatiquement dans sa démarche. Déposant ses choses sur une étagère à proximité, il se rendit à l’extrémité de la rangée d’engins de nettoyage et y découvrit sa sœur, recroquevillée contre un sèche-linge, ses épaules se secouant aux rythme de ses sanglots. S’agenouillant à ses côtés, il la regarda d’un air doux, tout en l’entourant de bras réconfortants.

« Mais qu’est-ce qui ne va pas Lucine? » Lui demanda-t-il doucement à l'oreille.

Invité

Lorsqu'elle sentit des bras l'entourer, la jeune femme lâcha un cri et commença à se débattre, terrifiée. Elle était certaine que c'était lui, qu'il était revenu pour lui faire du mal. Quand elle parvint enfin à se défaire des bras de "l'inconnu, Lucine releva la tête, le visage tout en pleurs, tremblant comme une feuille. Elle vit avec un certain soulagement qu'il s'agissait de son frère. Comme elle savait que Lucas ne lui ferait aucun mal, elle cessa d'avoir peur et son coeur se mis à battre moins vite. Consciente qu'elle l'inquiéterait sûrement après son geste, elle ramena ses cheveux derrière ses oreilles et tenta du mieux qu'elle pouvait se sécher ses larmes. Lucine avait horreur qu'on la touche, maintenant. Chaque fois qu'une main se posait sur elle, que ce soit n'importe où, elle revoyait cet homme et elle prenait immédiatement peur. C'était une panique presque inhumaine qui s'emparait d'elle. L'étudiante savait qu'elle pensait sans arrêt à la même chose, à cette nuit, mais comment faire autrement ? Et surtout, comment trouver une explication plausible à dire à son grand frère qui venait de la trouver là, si tôt, toute seule, à pleurer toutes les larmes de son corps ? Rassemblant tout son courage, - du moins ce qu'il en restait - Lucine se releva avec un peu de mal et regarda Lucas. Avant de prendre peur, elle avait tout de même entendu la question qu'avait posé son frère.

- Tout... tout va bien, je... tout a déteindu... je veux dire, mes vêtements...

Elle se remit à sangloter soudainement, sachant très bien que son explication était la plus nulle qu'elle ait jamais dite. Si Lucas la croyait, les poules avaient maintenant des dents ! Dans un geste instinctif, elle ramena croisa ses bras afin de cacher une partie de son ventre. Disons que le fait de pleurer comme une madeleine et son ventre de plus en plus rond pouvait faire tout de suite le déclic dans la tête de quelqu'un. Et comme son frère était plutôt du genre observateur, elle devait redoubler d'efforts pour lui cacher sa grossesse le plus possible. Elle n'arrivait même plus à fixer son propre frère dans les yeux tellement elle avait honte. Elle avait honte de tout lui cacher, honte de garder ce bébé alors qu'il provenait d'un monstre, honte d'être de nouveau enceinte... honte d'être aussi naïve.

- Lucas, je... en fait ça ne va pas bien du tout...

Peut-être que si c'était elle qui allait se blottir dans les bras de son frère, ça ne la répugnerait pas autant. De plus, une présence réconfortante l'aiderait sûrement à s'en sortir plus vite... elle savait que ce n'était pas en fuyant tout le monde qu'elle retrouverait sa joie de vivre. Mais elle avait honte... pourtant ce n'était pas sa faute. Elle fit quelques pas et se jeta dans les bras de Lucas qui devait franchement se demander ce qui clochait chez-elle.

- C'est cet homme, il... m'a drogué et... et...

Les mots ne voulaient pas sortir. Elle se remis à pleurer, ne pouvant pas s'empêcher de le faire. Pouvoir enfin être capable de le dire à quelqu'un, c'était une délivrance. De toute façon, elle n'aurait jamais pu le dire à quelqu'un d'autre qu'à Lucas. Après tout, ce n'était pas simplement son grand frère, c'était son grand ami aussi. Lucine lui faisait confiance, mais ne voulait pas qu'il se mette à tout casser à cause de cette ordure. Tout ce qu'elle voulait, c'était qu'il reste avec elle.

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